vendredi 6 mars 2015

Présentation des vikings ( partie 1 )





Quand au XIIe siècle, en un latin policé, le moine danois Saxo Grammaticus exalte les vertus du héros, il met en avant la virilité, l'audace, le courage, le dévouement jusqu'à la mort pour la patrie, la fidélité au chef et l'efficacité qui pousse à préférer les actes aux paroles et à mépriser les mœurs raffinées. Cette image, encore magnifiée dans les poèmes scaldiques, vient corroborer le stéréotype des Vikings, ces conquérants insensibles à la pitié qui ravagèrent les côtes européennes à bord de leurs rapides navires à la proue ornée d'un drakkar. Pour retrouver la réalité derrière le « mythe du Nord », laissons la parole à Régis Boyer, auteur notamment des ouvrages Les Vikings. Histoire et civilisations (Plon 1992) et La Vie quotidienne des Vikings (Hachette 1992).
Non, décidément, ce ne furent pas les sauvages sanguinaires, les barbares cruels ni les surhommes irrésistibles que nous continuons de vouloir faire d'eux. Pillards, oui, d'aventure, là et quand c'était possible, navigateurs de tout premier ordre, oui, et il est exact qu'ils ont reculé les limites du monde connu à leur époque, hommes d'ordre et d'énergie, oui : leurs prestations combinées à leur petit nombre méritent l'admiration. Mais il faut en finir avec le mythe de la brute salace, du violateur attendu avec son casque à cornes (il n'en a jamais porté !) et sa manie de boire le sang de ses ennemis dans leur crâne, voire de mourir en riant.



Notre « mythe du Nord » responsable des grossières erreurs
En fait, qu'était-ce, un Viking ? Un commerçant depuis bien longtemps et une première rectification consisterait à établir qu'il agissait en tant que tel depuis au moins le VIe siècle, avec son bateau sans lequel il n'existait pas, ses habitudes mercantiles, ses itinéraires précis, ses « agents », ses marchandises de luxe : ambre, peaux et fourrures, esclaves – car il fut un maître trafiquant d'esclaves, entre Hedeby au Danemark, notamment, et Byzance. Ensuite, la conjoncture l'a amené à se transformer en guerrier ou prédateur pour un certain temps, disons entre environ 800 et 1050, mais il fut toujours un homme appliqué avant tout à  afla sér fjar : se procurer de l'argent.
Qu'autour de 800 le délabrement croissant de l'Empire carolingien ait rendu vulnérables ses côtes, qu'en même temps, l'emprise arabe sur la Méditerranée ait brusquement coupé un des grands axes d'échanges entre Est et Ouest – la Méditerranée, donc – faisant par là même remonter la barre à un axe Baltique-mer du Nord-Atlantique où les Scandinaves étaient maîtres ; que les hommes du Nord se soient entendus à exploiter cette situation qui fut pour eux une sorte d'aubaine, cela s'entend. Ils ne furent pas lents à saisir que, souvent, un bon coup d'épée à tranchant double ou de hache à large fer résolvait leurs problèmes mieux que d'interminables palabres ; et donc, sans abdiquer leur véritable nature de commerçants de luxe, ils se muèrent en pillards, sans jamais affronter en rase campagne les armées ennemies – ils étaient bien trop peu nombreux pour cela – en se portant sur les points à la fois vulnérables et riches, donc tout ce qui touchait à l'Église en premier lieu ; ils élaborèrent une technique de commandos ou de raids éclairs, surgissant soudain, fondant sur leur cible, mettant le feu après avoir raflé les objets de valeur, repartant avant que les populations locales n'aient eu le temps matériel de réagir, bref, instaurant un climat de terreur que leurs premières victimes, les clercs – les seuls aussi à savoir écrire – ont dûment orchestré dans des textes délirants qui mettront en place pour un bon millénaire notre « mythe viking ».



Un commerçant particulièrement doué pour cette activité
Le Viking – c'est-à-dire, sans doute, l'homme qui va de vicus, cette ville comptoir marchand, en vicus – ou, lorsqu'il opère sur « la route de l'Est », donc entre fond du golfe de Finlande et Byzance par les fleuves et lacs russes, le Varègue, Væringr – l'homme qui s'occupe de marchandises, vara – avait ses « routes » fixées par une longue tradition : à l'intérieur de la Baltique, au nord par le cap Nord jusqu'à Arkhangelsk, à l'ouest vers la Grande-Bretagne, puis l'Islande, le Groenland, vraisemblablement, l'Amérique du Nord, ou bien par les côtes de Hollande, de France, d'Espagne, le détroit de Gibraltar, l'Italie et la Grèce jusqu'à Byzance, et à l'est, comme on l'a dit, routes qui recoupaient les grandes pistes caravanières venues d'Extrême-Orient, soit par la mer Noire, soit par la Caspienne. Tout au long de ces « routes », il avait créé des comptoirs comme Dorestad (Hollande), Quentovic (France) ou York (Angleterre).
Avec sa balance à peser l'argent haché ou hacksilfr, son « portefeuille » à cases destinées à recevoir les diverses monnaies ayant cours en Occident, ses poids et mesures, il était parfaitement équipé pour négocier. L'archéologie, qui est la seule science capable de nous renseigner solidement sur son compte – toutes nos autres prétendues sources, littéraires donc, étant hautement sujettes à caution – a retrouvé ces objets en nombre. Elle a également exhumé le véhicule sans lequel il ne saurait y avoir eu de Viking, le bateau – à savoir le knörr, le skeid, et leurs variantes, mais jamais le drakkar qui est un monstre français – véritable merveille technique avec son dessin symétrique, proue et poupe relevées, sa coque montée à clins vifs, sa quille d'un seul tenant, son gouvernail, en fait une rame large à manche court fixée par une attache de cuir souple à tribord arrière, son mât enfoncé dans une curieuse poutre en forme de poisson, sa voile rectangulaire à longs lés de couleurs, ses bancs de rame. Léger et très rapide, capable de virer sur place, tolérant tous les tirants d'eau, du plus faible à celui de l'océan, large et bas, mais non ponté, embarquant beaucoup d'eau, ne remontant pas au vent, c'était, si l'on peut dire, un bateau « élastique » : il ne résistait pas à la lame, il se pliait et l'épousait. Son équipage d'une quarantaine d'hommes en moyenne, vivant dans un grand inconfort – passant le plus clair de son temps à écoper –, sa cargaison légère, faite avant tout de marchandises de luxe, le rendaient incapable de transporter des marchandises lourdes en grandes quantités ; sa facture, très évoluée, en faisait un objet fort coûteux qui suffit à rendre dérisoires les exagérations des moines francs, irlandais ou anglo-saxons qui nous décrivent des flottes immenses !
En tant que navigateur, le Viking est un homme qui pratique l'association, félag, de biens ou de richesses. C'est peut-être d'ailleurs la marque la plus claire de ces sociétés que leur sens communautaire extrêmement développé.
Mais, il faut insister sur ce point, son but est essentiellement lucratif. Faisons litière de prétendues vues idéologiques ou religieuses, de complexes ethniques – au demeurant parfaitement anachroniques ! Il veut gagner de l'argent, et cette dernière formule suffit à résumer le phénomène dans son ensemble. De quelque façon que ce soit : en colonisant des terres plus accueillantes que les siennes propres, nous allons le dire ; en se faisant mercenaire, activité dont, curieusement, nous ne parlons jamais; et donc, en commerçant ou en pillant si cela est possible. Jamais en se présentant en conquérant puisque nous n'avons aucun exemple de bataille rangée où il ait été contraint de figurer et où il ait gagné !




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